Les orages d’hiver/de neige, si ça existe!

Appelé thundersnow en anglais (on ne peut être plus clair), l’orage de neige passe pour un mythe dans l’imagination du plus grand nombre, comme un phénomène réellement saisissant et incroyable quand le quidam finit par en être témoin. Pourtant, ce phénomène n’est pas extraordinaire en soi, bien que plutôt rare. Pour le météorologue averti, il n’est qu’un orage classique au cours duquel la neige atteint le sol, et est donc un événement typiquement hivernal ou printanier précoce. Pourtant, il peut s’accompagner d’éléments qui peuvent en déboussoler plus d’un et engendrer rapidement des situations très délicates. 

Orage de neige. Auteur: B. Daujat. Il faut partir d’un premier concept, celui d’orage d’hiver. En effet, et contrairement à certaines idées, un orage peut survenir à n’importe quel moment de l’année pourvu que les conditions d’instabilité, de différences verticales de températures et de dynamique (vents forts en altitude, cisaillement…) soient remplies. Ces orages hivernaux surviennent généralement dans un contexte de traîne, dans une masse fraîche derrière un front froid, avec la présence d’air glacial en altitude. Le passage d’un creux d’altitude (axe de pressions plus basses que le voisinage et rempli d’air encore plus froid) peut accentuer l’intensité des orages. Ils peuvent parfois se produire sur le front froid lui-même lorsque ce dernier est très actif. Dans l’immense majorité des cas, les orages d’hiver sont avant tout engendrés par la dynamique, l’instabilité ne prenant qu’un rôle très secondaire, car souvent très limitée. Cette instabilité se mesure notamment avec la CAPE (énergie potentielle disponible pour la convection). En hiver, elle n’excède guère quelques centaines de J/kg d’air. En été, elle peut dépasser les 2000 J/kg d’air, voire les 3000.

L’orage d’hiver est un orage généralement doté d’une activité électrique médiocre, voire très faible. Il n’engendre parfois qu’un unique et puissant éclair. Le type d’activité électrique dominante est souvent la foudre, qui frappe en coups très intenses mais très espacés. C’est ainsi que les coups de tonnerre typiques des orages d’hiver sont généralement très puissants et explosifs. Ceci est dû à une plus faible hauteur du nuage orageux, qui engendre une répartition différente des charges électriques positives et négatives. La masse de charges positives se trouvant au sommet du cumulonimbus est plus proche du sol en raison de la plus faible hauteur: dès lors, les coups de foudre positifs, plus puissants que les négatifs, se produisent plus facilement. Outre cela, l’orage d’hiver se déplace généralement très rapidement, accompagné de courtes mais intenses précipitations, régulièrement sous forme de grésil ou de grêle, et parfois d’un fort coup de vent.

Plus rarement, certaines orages d’hiver peuvent évoluer en supercellules ou en ligne de grains venteuses parfois très virulentes (comme le derecho du 25 janvier 2014) et engendrer des tornades. L’activité électrique peut ainsi devenir puissante et les rafales être très brutales. Le phénomène le plus redoutable des orages d’hiver organisés est en effet le vent, qui peut être générateur de dégâts compte tenu de la très forte dynamique atmosphérique associée à ces organisations orageuses. Une bonne partie des tornades belges est générée par des orages d’hiver.

Lorsque l’air est suffisamment froid à tous les étages de la troposphère, les précipitations qui se forment au sein du cumulonimbus sont solides. Elles finissent dès lors par précipiter vers le bas, sous forme de grésil ou de neige, générant le saisissant orage de neige.

L’Histoire de la météorologie belge mentionne quelques spécimens d’orages hivernaux/neigeux intenses. 

Assez loin dans le temps, au cours de l’après-midi du 14 mars 1940, Bruxelles connait un orage de neige spectaculaire, s’accompagnant également de grêle et de violentes rafales de vent. Ces bourrasques se font encore plus terribles en d’autres endroits de la Wallonie (Charleroi, Dinant…) où des tornades sont suspectées. Ces phénomènes ont pris place sur l’un des fronts froids les plus marqués qu’ait connu notre pays, celui-ci séparant de l’air arctique à l’ouest et s’avançant vers l’est, de l’air maritime tropical à l’est. A Uccle, la température descend de 10°C à 15h00 à -0,5°C à 16h00. Dans le nord de la France, des rafales de plus de 200 km/h sont suspectées localement, compte tenu des dégâts engendrés.

Le 27 novembre 1973, alors que la Belgique subit l’un des plus grands épisodes neigeux du 20ème siècle par un afflux d’air polaire direct de nord, des orages sont observés à Anvers, à Bruxelles et sur le Condroz. Ils apportent de fortes précipitations neigeuses.

Le 3 janvier 1978, dans un flux de nord-ouest très dynamique, de puissants orages de neige s’organisent en ligne et traversent la Belgique. A leur passage, on note des rafales de 106 km/h à la côte et, fait plus remarquable, de 108 km/h à Genk.

Plus près de nous, la ligne de grains qui traverse le pays le 10 décembre 2000 constitue, par son étendue, l’un des pires orages hivernaux des dernières décennies. De l’activité électrique est signalée en de nombreuses stations officielles: Anvers, Beauvechain, Florennes… C’est surtout le vent qui, très violent, provoque de nombreux dégâts. Une personne perd la vie à Saint-Gérard, en province de Namur. En France, deux tornades sont observées dans le Nord-Pas-de-Calais, et une troisième en Champagne-Ardenne. On note de très violentes rafales: 101 km/h à Chièvres, 112 km/h à Saint-Hubert, 119 km/h à Gosselies et 130 km/h à Bierset. En France, on note 111 km/h à Abbeville et à Charleville-Mézières et 126 km/h à Saint-Quentin.Le 28 janvier 2003 voit un système orageux arqué traverser la Belgique dans un flux maritime polaire de nord-ouest. Il est noté en de nombreuses stations du pays (Uccle, Koksijde, Anvers, Beauvechain, Bierset, Kleine-Brogel, Florennes…). De fortes rafales l’accompagnent par endroits: on mesure ainsi 79 km/h à Anvers et à Koksijde et 83 km/h à Spa). Il est observé vers 19h15 au sud-ouest de Charleroi par l’auteur de cet article. L’activité électrique n’est pas très importante, mais les précipitations sont intenses à son passage.

La ligne orageuse entame sa progression à travers la Belgique au soir du 28 janvier 2003 (source: KNMI).

L’orage du 1er mars 2008 est exceptionnel pour son activité électrique puissante pour la saison. Survenant sous un énorme creux d’altitude pris dans un flux de nord-ouest à nord engendré par la tempête Emma, il s’organise en ligne de grains et balaye la moitié est de la Belgique en fin de nuit. A son passage, on note beaucoup de vent et des chutes de neige et de grésil en abondance. Des pointes à plus de 100 km/h sont enregistrées (111 km/h à Ernage). Frappant également et sévèrement l’Allemagne et les Pays-Bas, il est désigné par certains scientifiques comme un derecho, à savoir le stade ultime de l’organisation des systèmes orageux (MCS).

Le mois de décembre 2010exceptionnellement neigeux, voit se produire des orages de neige le soir du 16 décembre. Un front froid très marqué descend de Mer du Nord, précédant un flux d’air polaire direct repoussant l’air maritime qui concernait jusqu’alors la Belgique. L’orage se fait particulièrement intense sur Namur où une accumulation rapide de plusieurs centimètres de neige est observée, tandis que la température passe de +2,5°C à -0,5°C en une vingtaine de minutes.

Le Grognon à Namur après l’orage de neige du 16 décembre 2010.

Au soir du 29 décembre 2011, un front froid traverse rapidement le pays. Des cellules orageuses se greffent sur celui-ci, et l’une d’entre elles provoque des dégâts dus au vent dans le Tournaisis mais aussi du côté d’Anvers. Quelques jours plus tard, la tempête Andrea déferle sur l’Europe le 5 janvier 2012. Son front froid traverse la Belgique du nord-ouest au sud-est en matinée et s’accompagne d’orages plus nombreux que fin décembre, organisés en ligne de grains très venteuse. Le vent dépasse les 120 km/h à Ernage (Gembloux).

Le 5 février 2013 en fin de nuit, une ligne de grain ponctuellement électrique mais très venteuse est responsable de nombreux dégâts en Flandre occidentale. Une tornade est avérée à Oosterzele. 

Les hivers doux sont régulièrement marqués par des épisodes orageux intenses. En fin d’après-midi du 3 janvier 2014, une ligne de grain très active dans de l’air maritime postfrontal a balayé la Flandre et l’ouest du Hainaut, accompagnée d’une activité électrique marquée. De très fortes rafales descendantes et une tornade ont été signalées, provoquant des dégâts localement très importants. 

Le 25 janvier 2014 a vu se produire un derecho en début de soirée sur l’extrême ouest de la Belgique et le nord de la France, en raison d’une dynamique extrêmement puissante en altitude accompagnant une énorme anomalie de tropopause dans un flux d’ouest-nord-ouest. Si l’activité électrique est restée assez sommaire, des rafales destructrices ont été observées en Flandre occidentale.

Plusieurs orages ont été observés au cours de l’hiver 2014-2015. Ce fut notamment le cas la nuit du 13 au 14 janvier 2015 lorsque qu’une ligne de grain associée à un creux venant de l’ouest se renforça brutalement en un fort orage venteux, neigeux et grêligène dans la vallée de la Meuse, avant de sévir sur l’agglomération liégeoise. L’activité électrique fut assez remarquable pour un orage hivernal, avec une succession régulière de puissantes chutes de foudre positives. A noter que ce ne fut pas le seul orage de neige de cet hiver-là. 

Une seconde ligne orageuse a été observée l’après-midi et en début de soirée du 28 janvier 2015 sur la région bruxelloise puis du côté de Liège. Elle était associée à un front froid très marqué précédant une invasion d’air maritime polaire. L’activité électrique a été bien présente pour un épisode hivernal. 

Le 2 mars 2015, on a observé un orage déversant des grêlons de 2 cm de diamètre sur Charleroi dans l’après-midi.

Le 9 février 2016 dans l’après-midi, le front froid de la tempête Suzanna s’est déstabilisé sur le massif ardennais, donnant des orages significatifs, mais sans provoquer de dommages.

L’après-midi du 27 février 2017, un front froid orageux traverse la Wallonie. Les orages sont localement forts.

Orage dans la région de Lobbes l’après-midi du 27 février (auteur: Info Meteo).

En fin de soirée du 18 janvier 2018, un bow echo traverse le pays depuis la côte jusqu’à la province de Liège. Sur l’ouest de la Flandre et à Bruxelles, le système est particulièrement actif avec de la grêle et de fortes rafales de vent (76 km/h à Uccle).

A noter que la plupart des orages de début de printemps (fin mars/début avril) sont très similaires à leurs cousins hivernaux. Toutefois, la douceur en basse couche peut déjà provoquer une certaine instabilité. Des orages de ce type ont été observés le 31 mars 2015 un peu partout dans le pays avec une certaine activité électrique, ainsi que le 28 mars 2016, à la fois sur le front froid de la tempête Jeanne et à l’arrière de celui-ci.

Quoiqu’il en soit, l’orage d’hiver et/ou de neige est un événement surprenant, mais pas exceptionnel non plus. Il n’empêche que ce type d’orage doit faire l’objet d’une attention particulière étant donné les importantes chutes de neige qu’il peut amener. Lorsqu’il se structure en ligne à la faveur d’une très forte dynamique d’altitude, le vent devient l’élément le plus dangereux. Un épisode orageux hivernal d’envergure est observé tous les 1 à 2 ans en moyenne, mais certains hivers particulièrement dynamiques peuvent en comporter plusieurs, comme ce fut le cas au cours des hivers 2007-2008, 2013-2014 et 2014-2015.

Source: Belgorage, MeteoParis.

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