Le grand public entend parfois parler du terme « supercellule » employé pour désigner l’un ou l’autre orage intense. Mais peu de gens savent ce qui se cache derrière ce terme. Pour faire simple, la supercellule est un orage possédant une cellule unique, là où les MCS sont des fusions d’un grand nombre de ces cellules. Cette cellule se compose d’un courant d’air chaud ascendant et d’un courant d’air froid descendant. A ce titre, elle présente la même organisation qu’un banal orage d’été monocellulaire. Mais la ressemblance s’arrête là. Anatomie du « roi des orages »
Premièrement, la supercellule est, comme son nom l’indique, une cellule géante, pouvant couvrir plusieurs dizaines de kilomètres de large. Une telle puissance nécessite des conditions très particulières, ce qui explique leur relative rareté. Le cocktail nécessaire à leur formation et à leur persistance est constitué d’un air chaud, très humide et souvent très instable, de violents courants à tous les niveaux de la troposphère et de directions et de vitesses différentes (aka. cisaillement des vents), de l’aide d’un courant jet. De plus, et à moins qu’elle évolue dans un environnement extrêmement favorable, la supercellule ne tolère généralement pas de voisins. Dans ce cas, soit elle les ingère, soit elle s’affaiblit. En effet, la supercellule consomme et nécessite donc une grande quantité d’énergie qu’elle puise à des kilomètres, voire plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde.

Probable supercellule sur la région de Bouillon le 28 juin 2012 vers 21h30. Le noyau très intense affaiblit l’ensemble de ses voisins qui tentent de se développer.
Le résultat est un cumulonimbus démesuré très dense et compact, accompagné d’une enclume très épaisse et bien arrondie.

Supercellule sur la Flandre le 21 juillet 2009. Source: P. Talleu via Belgorage. Deuxièmement, la supercellule est un orage en rotation cyclonique la plupart du temps, bien que des rotations anticycloniques existent. L’ensemble du nuage orageux, et plus particulièrement son courant ascendant, tournoie en effet autour d’un axe. La rotation du courant ascendant peut, dans certains cas, engendrer des tornades. Il est estimé que 30% des supercellules deviennent effectivement tornadiques. Un abaissement de la base nuageuse nommée nuage mur ou mesocyclone permet de visualiser la zone susceptible de produire une tornade.

Nuage mur sous une supercellule sur la Flandre Occidentale, 10 septembre 2011. Source: Belgorage
Troisièmement, la supercellule se caractérise par un décalage spatial entre l’air chaud ascendant et l’air froid descendant, ceux-ci pouvant être séparés de plusieurs kilomètres. Ceci est dû à la virulence des vents en altitude qui déplace les courants. Ce décalage permet à l’orage supercellulaire de subsister des heures, parfois jusqu’à six, là où un orage monocellulaire classique ne dure guère plus d’une heure. En effet, au sein de ce dernier, le courant froid descendant transportant les précipitations finit par bloquer et essouffler le courant d’air chaud ascendant nourricier de l’orage. En quelque sorte, la cellule se suicide. Dans le cas de la supercellule, l’air chaud est libre de monter et d’alimenter l’orage en énergie étant donné qu’il se retrouve décalé par rapport au courant froid descendant. A noter que le courant descendant se présente régulièrement sous deux composantes: un courant descendant avant et un courant descendant arrière. De loin, le cumulonimbus qui contient la supercellule peut paraître incliné suite aux puissants courants qui séparent l’air ascendant de l’air descendant.

Schéma simplifié d’une supercellule. Source: Wikipedia.
Quatrièmement, la supercellule se déplace de manière autonome, et dévie de la direction du vent général. Il est régulièrement observé, pendant le stade supercellulaire, une déviation de la direction de la supercellule vers la droite, selon un angle de 20 à 30°. Ceci peut survenir après un épisode de splitting storm, ou division d’orage. Au cours de ce processus, un orage intense éclate en deux composantes: une cellule moteur gauche et une cellule moteur droit. La première dévie sur la gauche du flux général, et se dissipe très souvent quelques minutes plus tard. La deuxième dévie sur la droite, grossit et se transforme en supercellule. Un deuxième changement de direction accompagnant la reprise de la trajectoire de la supercellule parallèlement au flux général indique la fin de cette dernière, celle-ci redevenant un « banal » orage.
L’image ci-dessus présente la cellule de droite (donc la cellule moteur droit) sous la forme d’un crochet, appelé hook echo. Ceci n’est pas anodin, car de nombreuses supercellules présentent cette morphologie lorsqu’elles sont observées sur les radars de précipitations. Ceci est une nouvelle fois dû à la rotation de l’orage autour de son mesocyclone: la pluie (et la grêle), premièrement située au nord de l’axe, finit par être aspirée autour de cet axe, dans un mouvement de spirale. Elle gagne l’arrière du mesocyclone, puis finit par l’entourer, faisant disparaître la signature en crochet, et annonçant généralement une évolution de la supercellule vers un orage banal ou vers un autre stade supercellulaire (nous y viendrons plus loin). Aussi, toute cellule s’aventurant dans une zone et présentant un crochet durable et marqué sur les radars doit être prise très au sérieux par les habitants de la zone en question: c’est au bout du crochet que les tornades peuvent surgir du mesocyclone.
Des éléments déchaînés Compte tenu de la puissance des courants qui l’animent et de l’énorme quantité d’énergie qu’elle consomme, la supercellule est à même de provoquer des événements dantesques, parfois tous en même temps. Elle s’accompagne d’une activité électrique explosive, souvent intranuageuse et incessante autour du mésocyclone, tandis que de réguliers coups de foudre frappent dans le courant descendant. Elle peut engendrer des grêlons géants, parfois plus de 10 cm de large. Ainsi, le 25 mai 2009, une supercellule a généré des grêlons de 12 cm de diamètre sur le Nord-Pas-de-Calais. Elle s’accompagne également de pluies torrentielles, de downbursts ou de tornades. Les dégâts engendrés par le passage des supercellules ne sont égalés que par certains orages multicellulaires en ligne tels que les échos en arcs et les derechos.
Fréquence des supercellules
Il est très difficile d’établir un chiffre moyen du nombre de supercellules en Belgique. Il dépend du nombre et de la sévérité des épisodes orageux et des conditions qui les engendrent. Il se produit que quelques supercellules chaque année, mais certaines peuvent passer inaperçues compte tenu des faibles résolutions des radars européens.
Au cours des dernières années, la plupart des supercellules ont été observées en Flandre et dans le Hainaut. La province de Luxembourg semble également concentrer un certain nombre de cas.Plusieurs types de supercellulesLes différent spécimens peuvent être classés dans quatre catégories, bien que les limites entre ces catégories ne soient pas nettes. Supercellule classiqueComme son nom l’indique, c’est la supercellule la plus courante et la plus facilement identifiable sur les radars en raison du développement du crochet (hook echo). La plus grande partie des précipitations se trouve au nord du mesocyclone. Elle s’accompagne de grêle. C’est la supercellule génératrice de tornades par excellence, celles-ci pouvant être très violentes.

Supercellule classique telle que vue sur un radar américain. Source: UStornadoes.

Supercellule classique au-dessus de l’ouest de la Flandre le 10 septembre 2011 vers 19h40. Le crochet est légèrement visible dans la partie basse droite de la cellule. Source: Buienradar.Supercellule HP (high-precipitations) Cette supercellule engendre énormément de pluie, et ce de manière excessivement intense. Les spécimens de cette catégorie se forment dans un environnement très humide. La grosse grêle y est moins probable, bien que possible. L’extrême dangerosité de ces supercellules est due au fait que le mesocyclone, et donc la tornade potentielle, sont entourés par des zones de précipitations. Il est dès lors parfois impossible de voir arriver la tornade visuellement. Seule sa présence peut être supposée en observant les images radar. Cependant, les radars européens à disposition du grand public ne sont pas aussi précis que les américains, compliquant l’identification de ce type de cellule. Il est parfois observé que des cellules classiques évoluent en supercellules HP, l’inverse étant très peu probable. Au sein d’une supercellule HP, les plus fortes précipitations tendent à se placer au nord, à l’ouest et au sud du mesocyclone.

Supercellule HP telle que vue par un radar américain. Source: TornadoQuest. L’echo en crochet est moins visible, bien que devinable.

Probable supercellule HP sur la région de Virton le 27 juillet 2013 vers 2h45. L’évolution d’une supercellule classique en supercellule HP est une situation fréquente, ce qui fut le cas ici peu avant sa dissipation sur la région de Arlon. Source: Infoclimat.
Supercellule LP (low-precipitations) A l’inverse du cas précédent, la supercellule LP n’engendre que peu de précipitations, ce qui rend sa détection via les radars très compliquée puisque pas d’écho en crochet observable. Leur identification se fait en général en visuel, les structures nuageuses devenant spectaculaires sous ce type de cellules. Elles évoluent dans des environnements secs, et sont donc plus rares dans nos régions. Elles peuvent engendrer des grêlons géants alors qu’il ne tombe aucune goutte d’eau liquide. Suite à l’évaporation intense affectant ce type d’orage, l’air refroidi descend brutalement vers le sol et peut générer de très violents downbursts. Les tornades sont généralement d’intensité assez faible sous ces supercellules LP.

Supercellule LP aux Etats-Unis. Aucune précipitation n’est visible, au contraire d’un mesocyclone très bien développé.

Spectaculaire supercellule LP photographiée par Dean Gill aux Etats-Unis. La rotation de la colonne ascendante se devine au centre de l’image.
Supercellule LT (low-topped) Il s’agit de versions miniature des supercellules. Ce seraient les plus fréquentes dans nos régions. Elles présentent un cumulonimbus de dimensions plus modestes et ont dès lors besoin de moins d’énergie pour se développer. Leur identification sur les radars peut être compliquée compte tenu de leur petite taille et du fait qu’elle peuvent se dissimuler au sein de structures plus grandes, comme une ligne de grain par exemple. Cela ne les empêchent pas de donner lieu à des tornades, notamment dans nos régions, où il s’agirait du type de supercellules engendrant le plus de tornades belges. Contrairement aux autres supercellules qui ne se forment qu’à la fin du printemps ou en été, les supercellules LT peuvent se développer n’importe quand dans l’année, y compris en hiver. Une grande partie, sinon la quasi-totalité des tornades d’hiver belges sont dues à des supercellules LT. Les autres éléments peuvent être présents, mais très souvent, l’activité électrique reste médiocre sous ce type de cellule.

Probable supercellule LT (S3) au sein d’une ligne de grains et générant une tornade sur Oosterzele en Flandre Occidentale le 5 février 2013. Source: IRM.
Low-topped supercellule au-dessus de la province d’Anvers le 21 janvier 2008 en fin de soirée. Elle engendrera une tornade F1 – F2 50 minutes plus tard, aux alentours de 23h30, sur la commune de Grote Brokel. Source: IRM.
Etude de cas: la supercellule du 26 juillet 2013
Cette cellule a été attentivement suivie par sur les radars tout au long de son parcours par Info Meteo, et a même fait l’objet d’une émission d’un avis de phénomène intense lorsque celle-ci s’est présentée aux portes du département des Ardennes. Son évolution est détaillée ci-dessous car elle illustre très bien le comportement d’une supercellule classique.
Vers 20h00, un storm splitting s’opère sur le département de l’Eure: une cellule s’y divise en deux: une cellule moteur gauche (flèche rouge) qui se disloque rapidement, et une cellule moteur droit (flèche jaune) qui se renforce rapidement et commence à présenter une courbure en écho, tout en déviant vers la droite du flux général et se dirigeant vers l’est-nord-est.

20h00
A 21h30, c’est une supercellule classique très aboutie qui se présente à l’entrée du département de l’Oise. Le crochet est bien visible sur la frontière sud du département. Elle présente une structure en « papillon » avec deux branches de précipitations (V notch en anglais) se séparant dans sa partie nord, autre signe d’une supercellule bien organisée. D’intenses chutes de pluie et de grêle, ainsi qu’une violente activité électrique, sont signalées. A Chapelle-en-Vexin, l’intensité des précipitations atteint 443,1 mm/heure, ce qui est extrêmement élevé. Des grêlons de 5 cm de diamètre provoquent de gros dégâts à la végétation. Cependant, une cellule orageuse arrivant du sud-ouest va venir interférer avec la supercellule…

21h30 Au même moment, voici ce qui est visible. Le nuage mur se marque nettement (source Keraunos):

A 22h00, la supercellule a perdu pas mal de puissance. L’echo en crochet, bien que toujours devinable, se fait moins net, et les précipitations faiblissent. Ceci est dû à la collision avec la petite cellule orageuse arrivant du sud-ouest. Bien que moins puissante, les courants qu’elle génère ont sans doute interféré avec ceux de la supercellule, provoquant sa désorganisation.

22h00 Vers 22h25, une brève tornade est issue de cette supercellule sur le commune de Montataire, dans l’Oise. Elle a provoqué des dégâts de type F1 sur l’échelle de Fujita. Source: Météo Oise A 22h45, la supercellule a repris de la vigueur, après avoir englouti la cellule arrivant du sud-ouest. Elle développe même temporairement une double structure en crochet, signant peut-être deux mésocyclones. Elle vient de provoquer des inondations et de violentes chutes de grêle (grêlons de 5 cm en moyenne) à l’ouest de Creil.

22h45 A 23h15, la supercellule présente une structure très aboutie, avec un superbe crochet sur son flanc est. C’est à ce moment-là que Info Météo a fait part à ses membres de la dangerosité potentielle de cette supercellule se dirigeant en direction du département des Ardennes. Le crochet était à ce point net qu’une tornade n’aurait été guère surprenant. Cependant, la nuit tombée, les pluies diluviennes, les violentes rafales de vent et l’activité électrique incessante ont peut être masqué la survenue d’une telle tornade. Au sud et à l’est de la supercellule, l’apparition d’un système multicellulaire va une nouvelle fois venir interférer dans l’organisation de l’orage. A noter que le fait que le mesocyclone soit rejeté sur l’est de l’orage, et que le crochet se fasse massif et commence à entourer le mesocyclone pourrait indiquer une évolution de la supercellule depuis le stade classique vers le stade HP.

23h15 A 23h45, il est possible que la supercellule classique ait complètement évolué en une supercellule HP, le crochet étant encore peut-être visible sous la forme d’un rond rouge entouré de violet dans la partie est de l’orage, mais il n’est pas possible de le confirmer. Cependant, l’environnement de la supercellule devient nettement perturbé, avec même l’apparition d’un orage très intense au sud-est. Celui-ci va initier une nouvelle supercellule qui traversera le département des Ardennes et la Lorraine belge plus tard dans la nuit. Une transmission de relais en quelque sorte…

23h45
A 0h15 le 27, la supercellule se démantèle complètement sur le centre du département de l’Aisne, trop perturbée par le complexe multicellulaire qui s’organise à ses côtés.
