Le courant Jet, moteur du temps dans les zones tempérées

En météorologie, il est difficile d’expliquer le temps et les phénomènes extrêmes sans passer par le courant Jet, cette rivière atmosphérique circulant aux latitudes tempérées et séparant l’air froid du Pôle et l’air chaud des Tropiques.

Son mécanisme est simple : plus le contraste de températures entre le Nord et le Sud est grand, plus le courant Jet est violent. A l’inverse, si le contraste est moins grand, le courant Jet est plus faible. Or, le record de faible surface de glace dans l’Arctique l’année dernière a tout chamboulé dans la bataille que se livrent les 2 grandes masses d’air : la glace étant moins présente, l’énergie solaire a été moins réfléchie dans l’atmosphère, l’Arctique s’est réchauffé plus que les Tropiques, et le contraste est devenu moins grand. Dès lors, le courant Jet est devenu moins puissant. Etant donné qu’une rivière méandre lorsqu’elle ralentit, le courant Jet a adopté le même comportement et nous arrivons là à l’explication concrète des phénomènes extrêmes enregistrés ces derniers temps dans l’Hémisphère Nord : si le courant Jet méandre, il ondule beaucoup plus vers le Nord et vers le Sud, en allant chercher donc respectivement des masses d’air plus froides au Nord et des masses d’air plus chaudes au Sud. De plus, lorsque le changement de masses d’air a lieu, il est plus violent que d’habitude.

Ces fortes ondulations sont enregistrées en ce moment même aux Etats-Unis : deux crêtes (« ridge ») anticycloniques sont positionnées sur les façades Ouest et Est du continent américain alors qu’un creux, une dépression d’altitude s’enfonce au milieu (« trough »).


Entre ces 3 structures circule le courant Jet et nous pouvons voir combien les ondulations sont très prononcées, plongeant depuis le Canada jusqu’au Golfe du Mexique et remontant. Cette configuration assez particulière explique bien des choses dans les températures actuellement relevées aux Etats-Unis. Ainsi, dans l’Ouest, sous les hautes pressions situées au Sud du Jet, une température de 54°C a été relevée dans la Vallée de la Mort ce dimanche 2 juillet 2013. La température minimale approcha même les 40° ! Ces 2 températures sont les 2 plus chaudes jamais enregistrées à cette station ! Des records ont été battus dans l’Arizona, le Nevada, l’Utah, et d’autres Etats de l’Ouest des Etats-Unis. Sur l’Est des Etats-Unis, une remontée d’air chaud et humide combinée à un puissant Jet ont provoqué d’intenses précipitations comme l’indique cette carte :

Entre les deux, une dépression d’altitude s’enfonce au Nord du Jet, provoquant un temps particulièrement frais sur le centre des Etats-Unis. Ainsi, la ville de Waco, Texas a enregistré seulement 14° ce 2 juillet, alors qu’on est plus accoutumés de températures dépassant allègrement les 30° dans cette région du Sud des Etats-Unis. Cette température est en réalité un record de froid pour Waco pour le mois de juillet ! Nous avons donc une différence de 40° entre le Texas et la Vallée de la Mort alors qu’ils se trouvent â la même latitude et à une distance encore limitée.

Plus près de nous, ces variations inhabituelles du courant Jet ont provoqué un blocage anticyclonique sur la Scandinavie avec des températures de plus de 30° en Laponie. Ces hautes pressions bloquant les perturbations sur l’Europe Centrale, des pays comme l’Allemagne ont vu se déverser des dizaines de litres de d’eau dans leurs fleuves, avec une facture s’élevant à une vingtaine de milliards d’euros suite à des inondations. De la même manière, des hautes pressions ont enflammé l’Alaska avec des températures proches de 35° et ont bloqué des perturbations sur l’Alberta, au Canada, avec des dégâts estimés à 3 milliards de dollars.

Ces variations du courant Jet nous ont réservé beaucoup de (mauvaises) surprises ces derniers mois, et j’aimerais revenir sur une expérience dont vous vous rappelez sans doute puisqu’elle a eu lieu début mars.
En effet, le 6 mars, nous pensons être sortis de l’hiver : la température atteint 19° à la station de Charleroi, sous un vent de Sud bien organisé depuis le Nord de l’Afrique. Sur Biarritz, nous observons 20°, et 15° sur les Balkans. En fait, le courant Jet passe au Nord de nos régions et nous sommes sous la protection d’un anticyclone centré sur le Sud-Est du continent. Cependant, le Jet descend fortement jusqu’au détroit du Gibraltar, position très méridionale, et ce même en hiver. Dès lors, l’air frais s’engoufre sur le Sud-Ouest de l’Europe alors que nous sommes encore du bon côté du Jet. Plus au Nord, il fait 2° sur Oslo, et -10 sur Moscou. Malgré la sensation très printanière, l’air arctique est en embuscade quelques centaines de kilomètres au Nord :

Le 8 mars, le courant Jet continue à onduler du Sud vers le Nord, avec de l’air frais sur le Nord-Ouest de la Péninsule Ibérique. Chez nous, il fait encore 15°, mais la température est passé en négatif à Oslo avec -2°. Il gêle à Varsovie, et il fait 6° dans le Nord des Pays-Bas, preuve que le froid gagne du terrain, avec le courant Jet passant sur le Danemark et la Pologne. Les isobares sont orientés du Sud-Ouest vers le Sud-Est chez nous, mais à l’Est dans le Nord de l’Allemagne :

Le 10 mars, le changement s’opère : le courant Jet passe au Sud de nos régions avec une dépression glissant au Sud de nos frontières. Dès lors, le vent passe plus au Nord-Est, draînant une masse d’air bien plus froide. Nous enregistrons 6° dans nos régions. Le vrai froid arctique se rapproche et s’intensifie au Nord, avec 0° sur Hambourg et 6° sur Oslo. L’air printanier a été rejeté sur la Roumanie avec 16°. On fera donc remarquer que c’est la même dépression qui est à l’origine des 2 aspirations : l’air très doux sur son flanc Est, et l’air arctique sur ses flancs Nord et Ouest :

Le 12 mars, toutes les masses d’air se sont déplacées d’Ouest en Est : l’air très doux s’est déplacée de Bruxelles vers Istanbul où on enregistre des températures de 17°. Chez nous, il fait -3°, avec donc une chute de 22° en 6 jours ! Cette carte finale montre bien comment le Jet s’est déplacé de telle manière que nous sommes largement au Nord de la limite qui atteint maintenant le Maghreb. Sur l’Atlantique, une nouvelle ondulation remonte jusqu’au Sud du Groenland avec une autre advection douce sur l’océan. Cette carte ressemble très forte à la première sur les Etats-Unis, où la plongée arctique est coincée entre 2 remontées chaudes avec le Jet qui ondule fortement :

Elle montre donc très bien que la translation des ondes du Jet génère d’importantes variations de températures et qu’être en quasi-permanence du mauvais côte de cette rivière atmosphérique provoque un temps frais et humide sur de longues périodes. Elle montre aussi que le renforcement de ces ondes par la déstabilisation du climat arctique ayant pour origine une fonte record de sa banquise est une source de problèmes pour les régions tempérées et sub-arctiques. Et ce n’est peut-être qu’un début … 

Sources :

Dr. Jeff Masters’ WunderBlog
Wetterzentrale

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