Il faut avant tout recadrer les choses dans leur contexte: cette année 1888 ne laissera pas un souvenir impérissable aux amateurs de beau temps, loin de là. C’est une année humide et froide, pourrie par excellence: un hiver qui n’en finit pas et s’éternise jusqu’en avril, un léger mieux en mai, un mois de juin commencé prometteur (27°C à Uccle le 3 juin) mais qui se poursuit en dents de scie, et qui est surtout très orageux.
Les deux mois d’été commencent sous un ciel on-ne-peut-plus-moche. Le 1er juillet annonce la couleur pour le reste de la période: 12°C à Uccle au meilleur de la journée, et un soleil qui ne brillera que dix minutes. Lorsque l’on prend la peine de regarder les réanalyses des modèles pour ce 1er juillet 1888 à 2h00, les signes typiques d’un mauvais été sont bien présents:


Après un léger mieux d’une petite semaine (et encore, tout est relatif…), le froid va faire son retour avec fracas sur la Belgique. La situation du 9 juillet à 2h00 montre clairement la mise en place des éléments au nord de nos régions:
La Belgique se trouve dans un ciel de traîne à l’arrière d’un premier front froid, et donc sous un temps frais et humide. Au nord de l’Ecosse, une nouvelle dépression s’annonce. Nous avons représenté approximativement son front froid afin de mieux cerner ce qu’il va se passer par la suite. L’anticyclone des Açores campe sur ses quartiers d’été pourri, c’est-à-dire… aux Açores. Pourtant, il sera intéressant de remarquer son évolution les jours suivants.
Vingt-quatre heures plus tard, la dépression en elle-même a peu progressé. Le 10 juillet à 2h00, elle se trouve en mer du Nord. Sa puissance n’a pratiquement pas changé puisque la pression en son centre se trouve toujours entre 1000 et 1005 hPa. Le front froid associé a quand à lui progressé sur la Grande-Bretagne. Mais ce qui est très intéressant, c’est la dorsale anticyclonique (la tôle ondulée verte) qui s’est brutalement formée entre l’anticyclone des Açores et le Groenland. Le résultat est impressionnant: un brusque appel d’air se produit aux hautes latitudes, et c’est un toboggan d’air polaire qui se met en place vers l’Europe Occidentale.
La carte des températures à 850 hPa (ci-dessous), soit plus ou moins 1550 mètres, montre le déboulé d’air froid qui pointe sur le sud de l’Angleterre.
Le 11 juillet à 2h00, le front froid, suivi de l’air polaire, vient de traverser la Belgique. A son passage, les températures ont diminué de plusieurs degrés. En début d’après-midi, à Bruxelles, on relève 11°C. Cela est déjà fort frais. Mais en altitude, c’est de l’air glacial pour la saison qui stagne. Et cette masse est présente au-dessus du pays depuis que le front froid est passé. Mais une virgule d’air encore plus froid atteint bientôt la Belgique. A 1500 mètres, il ne fait plus qu’environ 3°C, et nul doute qu’il gèle un peu plus haut.
Bruxelles, comme nous le disions, baigne donc dans un air froid: 11°C à peine, le tout sous un ciel très nuageux à couvert et sous une pluie continue. Un temps abominable. Mais sans crier gare, de brutales averses atteignent la capitale vers 16h00, et font chuter la température à 5°C! Ce qu’on pense être une ligne de creux sur laquelle se sont structurés des grains, traverse le pays du nord au sud. La force des précipitations associées entraînent l’air froid qui stagnait en altitude en direction du sol. Cette avalanche d’air froid s’enregistre sur toutes les stations météo alors en service, y compris à basse altitude: 7°C à Veurne et 6°C à Arlon par exemple.
Plus au sud, à Chimay, le refroidissement est si brutal que des flocons de neige viennent se mêler aux averses de pluie. Plus phénoménal encore: à la Baraque Michel, dans les Hautes-Fagnes, le thermomètre s’effondre à 1°C à peine, sous des averses de neige fondante! Ces averses deviendront même par la suite de neige tout court, conduisant à une accumulation qui atteindra 2 cm le lendemain 12 juillet, établissant le record de neige tenant au sol la plus tardive qui soit en Belgique. On signalera aussi, ce 12 juillet, de la neige à Dison (Verviers), à Spa et à Malmedy, mais sous forme fondante. Néanmoins, cela reste exceptionnel.

La carte du 12 juillet à 2h00 montre clairement la persistance d’air froid à 1500 mètres (et sans doute encore plus froid au-dessus). Cet air ne peut se réchauffer de manière significative en descendant vers le sol puisque l’air froid apporté par les premières averses de l’après-midi de la veille est toujours présent.
Le reste du mois de juillet, à l’image de l’été, sera frais et humide. Sur tout le mois, la plus haute température mesurée à Uccle fut 22°C, le 25 juillet. Plus jamais un jour d’été ne sera aussi froid et « neigeux » que ce 12 juillet 1888.
Comme on peut le voir, une telle situation a nécessité un concours de circonstances pratiquement impossible à mettre en place en même temps: air polaire direct, une grosse ligne d’averses, un temps frais déjà au départ, des dépressions ayant un comportement typique de celui des étés pourris… Tout cela illustre bien le caractère très exceptionnel de cette situation.
Petite note: les cartes présentées sont des réanalyses de la situation atmosphérique effectuée par des modèles sur base des observations au sol. Leur précision n’est pas parfaite, mais elles constituent une bonne base pour comprendre le comportement de l’atmosphère à des époques aussi lointaines.
Sources: Forum Météo Belgique, Belgorage, Wetterzentrale, Le Soir.